La fragmentation commerciale de la culture physique
- Carlos Perez
- 27 avr. 2020
- 5 min de lecture

Fitness, Body building, Pilates, Ketel Bel, Crossfit, Kalhystenie, il n’existe pas de méthode totale, c’est à dire définitive (ex : Cross fit). La science est en perpétuel mouvement, par conséquent, les méthodes sont transdisciplinaires, se nourrissent et s’agrègent les unes au autres pour former un tout intégral en évolution permanente au service de la santé et de l’éducation motrice du sportif. La culture physique a le mérite de dépasser les cloisonnements actuels, elle n’est donc pas une science définitive ou absolue mais en construction, c’est-à-dire un apport supplémentaire à la culture motrice et sportive moderne. Sa force est holistique . Cela dit et cette vérité rétablie, on ne doit pas occulter un contexte politique très prégnant et changeant qui impose son mode de pensée.
Les idéologies dominantes sont les idéologies des classes dominantes. À partir du XIXe siècle, la culture physique a progressivement évolué en Europe et en occident en se fragmentant en une multitude de pratiques, de techniques et de méthodes gymnique ouvertes à la concurrences et au marché en diluant le sens holistique profond de l’activité. Les rapports de force économique, culturels et sociaux qui s’incorporaient petit à petit à force d’observations, de techniques, d’expériences, de visions et de méthodes nouvelles influencées par le marché, ont fini par fractionner la culture physique.
Dans une division sociale du travail corporel taylorisée et poussée à l’extrême, phagocyté par le sport super médiatisé et se séparer de l’hygiène du corps pour devenir « compétition » laquelle va finir par prendre le devant de la scène .
La culture physique quant à elle, va définitivement se fragmenter en une multitude de petites branches spécifiques pour se transformer en niches commerciales au service d’un marché loisir santé . Gymnastique, kalisténia, tumbling, stretching, éducation physique, haltérophilie, power lifting, gymnastique médicale, jogging, fitness, avec une multitude de déclinaisons comme le body-building, cross-fit, aérobic, pilates, yoga, tRX, ketelbel, aquazumba, pound, booty-chic, piloxing, gym tonic, zumba, bowka, sh’bam, body jam, HBX boxing, ardiobike, technique Mézieres, technique Feldenkrais, technique TEM, technique RPG. En faisant disparaître le terme, le sens et l’esprit de la culture physique toutes ces méthodes fondamentalement non compétitives et d’utilité publique à l’origine de l’éducation motrice ainsi que bien d’autres, ont successivement porté un éclairage nouveau sur l’hygiène du corps, le bien-être et la santé corporelle, fragmenté et vendu comme des marchandise pour tel ou tel niche ou profil commercial. A-t-on compris les fondamentaux de la culture physique sur le plan du bien être et de la santé ? De plus a-t-on valorisé son rôle social et d’utilité publique ? On peut légitimement en douter.
Pourquoi ? La Culture physique, à l’origine, considère qu’on ne peut rentabiliser un ou plusieurs paramètres du corps sans provoquer des altérations et des déséquilibres dans tous les autres paramètres. Dès lors, l’objectif est le rééquilibrage des unités motrices défaillantes ou surexploitées afin d’améliorer l’ensemble et en particulier le rendement et l’équilibre du geste technique. Le geste technique n’est jamais visualisé hors de son contexte. Les éléments objectifs (visibles) comme subjectifs (invisibles) sont pris en considération, ce qui permet d’améliorer la méthode proposée, de rentabiliser et de renforcer la motricité spécifique et générale. Ce principe d’intégralité et d’indivisibilité permet un regard, une analyse et une action plus globale et plus proche de la réalité. Mais cette méthodologie englobe un large spectre de la culture physique au point malheureusement de se fractionner aujourd’hui en branches professionnelles spécifiques, comme l’haltérophilie, le power lifting, la musculation ou body building, le power training, le fitness, le spining, la méthode Pilates, le cross fit. Chacune de ces branches adopte des codes, des règles, une déontologie propre. elles sont ouvertes au commerce et à la compétition mais complètement hermétiques et cloisonnées entre elles, ce qui finit toujours par étouffer la discipline elle-même qui se professionnalise et limite les possibilités motrices du sportif.
Triat a été le premier à comprendre que la culture physique devait être transdisciplinaire et qu’il n’y avait que des avantages à développer un travail intégral du corps, à passer d’une branche à l’autre, d’une méthode à l’autre, d’une résistance à l’autre, d’un rythme à l’autre. Mais aujourd’hui, les méthodes et les disciplines se sont tellement épurées et appauvries qu’elles sont limitées à certains gestes techniques ou sont obligées de travailler à une intensité et à un rythme spécifique pour exister commercialement et visuellement. Leur but est toujours de préparer un nouveau public à un nouveau marché et de l’enfermer dans ce marché. Ces disciplines utilisent quelques éléments de la vaste culture physique et se l’approprient pour en faire des concepts fermés, cadenassés, emprisonnant la personne dans une culture spécifique et non plus intégrale, un véritable cul de sac physique. Ce professionnalisme poussé à l’extrême fractionne plus qu’il n’additionne, démolit plus qu’il ne construit, appauvrit plus qu’il n’enrichit et peut devenir un frein pour le bien-être et la santé. Ma proposition est évidemment de libérer et décloisonner les pratiques motrices. Au cours du siècle écoulé, la pratique de la culture physique, plus communément appelée aujourd’hui fitness ou musculation, s’est développée à un point tel qu’elle constitue, avec la marche et le jogging, l’activité « santé, bien-être, loisir » la plus populaire dans le monde. Il n’existe pas un coin de la planète sans un centre de fitness ou de musculation et tous sont généralement organisés de la même façon : un espace cardio, un espace de musculation et un espace libre pour les activités de groupe. Le problème est que tous ces centres sont organisés par des multinationales et qu’aucun n’est rattaché à un véritable service public. Leur but prioritaire n’est donc pas la sante mais le commerce. À l’intérieur de ces locaux, tout est fragmenté en options commerciales où chacun doit se débrouiller selon son portefeuille. Imaginons des écoles qui fonctionneraient avec des professeurs en option, ou des hôpitaux dans lesquels les médecins seraient choisis selon le budget de chacun ! Il faudrait donc un véritable service public accessible à tous, avec des professeurs rétribués pour cela. Ma proposition est d’affecter cette pratique motrice véritablement au service de la collectivité, de l’organiser publiquement et de l’adosser a l’organisation mondiale de la santé. Aujourd’hui, la fragmentation, le cloisonnement et la spécialisation – c’est-à-dire la marchandisation – corsètent et confinent le corps dans des stimulus spécifiques qui ne lui permettent pas de développer ses capacités motrices globales. Il faudrait au contraire utiliser le potentiel intégral des diverses méthodes plutôt que de les cloisonner et de les faire disparaître chaque fois qu’il y a quelque chose de nouveau et que le commerce dicte sa loi. Pourquoi ne pas additionner intelligemment ce qu’il y a de bon dans chaque méthode et les alterner, en évitant ainsi le piège de tout vouloir faire le même jour et au même moment ? Comment, en effet, peut-on passer à côté d’une séance douce de Pilates (exceptionnel pour le gainage et le travail des muscles profonds du tronc), d’une séance de musculation (qui travaille sur les équilibres analytiques des masses musculaires), d’une séance d’haltérophilie (pour le travail de coordination et l’utilisation correcte du polygone de sustentation, le centre de gravité et les transferts poli- articulaires et musculaires de la chaîne cinétique), d’une séance de spining pour améliorer votre VMa et votre Vo2max, du power lifting pour la fmax et le renforcement articulaire et tendineux ou encore d’une séance de cross fit courte et à haute intensité avec charge et résistance variable, pour de la reconversion en puissance ? Une telle rotation permettrait d’aller dans le sens contraire de la spécialisation, d’éviter de se cantonner dans des disciplines hermétiques et immuables, de stimuler toutes les fonctions motrices, d’éviter l’acidification et la rigidification de zones spécifiques sur-stimulées et d’atteindre un équilibre physiologique, biologique et psychologique par un travail global permettant d’acquérir une culture générale dans une culture physique en perpétuel mouvement et ouverte sur son temps. Une culture physique qui doit prendre le contre pied de la culture dominante, la questionner quelque soit le secteur: santé, éducation, monde du travail et sport et ceci pour l’émanciper des lois du rendement et de la marchandisation. Une culture physique qui ferait honneur à la sagesse la perspicacité la bienveillance et l’intelligence de nos anciens « Les hygiéniste ».
Comentários